Analyse

« L’année du social » avant les élections

Québec – —  Les ténors patronaux ont saisi le message dans une réunion privée la semaine dernière. Pour le gouvernement Couillard, on entre carrément dans « l’année du social ». Québec veut faire oublier les années d’austérité à l’approche du rendez-vous électoral d’octobre 2018.

Sans être détaillée, l’intention de Philippe Couillard d’aller de l’avant et d’ajouter une semaine de vacances à celles prévues par la Loi sur les normes du travail semble clairement arrêtée, ont confié des participants au face-à-face annuel entre le premier ministre et les associations patronales.

Celles-ci se sont dites ouvertes à maintenir « un dialogue » avec Québec sur ce projet, mais elles ont ajouté qu’il ne fallait pas interpréter cette position comme un consentement à l’intention du gouvernement. Les associations patronales « sont sur les freins », bien que l’intention de Philippe Couillard « semble bien arrêtée », observe-t-on. Se trouvaient réunis, jeudi dernier, le Conseil du patronat, la Fédération des chambres de commerce, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, les Manufacturiers et Exportateurs du Québec et le Regroupement des jeunes chambres de commerce.

Actuellement, un employé qui a plus de cinq ans de service continu chez le même employeur a droit à trois semaines de vacances. Ceux qui ont moins de cinq ans ont deux semaines, toujours en vertu de la Loi sur les normes du travail.

L’économiste Pierre Fortin juge tout à fait appropriée une augmentation du temps de vacances. Si on compare avec ce qui se fait en Europe, où on prévoit quatre ou cinq semaines, le Québec est loin d’être généreux à ce chapitre, observe-t-il.

Le gouvernement a sur sa table de travail une revue de la Loi sur les normes, et s’est engagé à une politique sur la lutte contre la pauvreté. Devant les patrons, Philippe Couillard a rappelé les années d’austérité, avoir livré un retour douloureux à l’équilibre budgétaire et une flopée de mesures destinées à favoriser l’investissement et l’innovation. Un coup de barre à gauche s’impose désormais. En conseil général, M. Couillard a fait une autre annonce, passée sous le radar : les Québécois ne doivent pas s’attendre à davantage de baisses d’impôt – les gens tiennent au maintien du niveau des services, évalue-t-on au gouvernement.

L’offensive du PQ

Sur le champ de bataille social, le gouvernement ne sera pas seul dans les prochains mois : le Parti québécois (PQ) a annoncé en fin de semaine son offensive. Les députés Harold Lebel, Catherine Fournier et Dave Turcotte sont mandatés pour élaborer une politique de lutte contre la pauvreté. La tournée s’appellera « Solidarité en action », un pied de nez à Québec solidaire. S’il est élu, le PQ promet d’entrée de jeu d’augmenter de 60 millions le financement des organismes d’action communautaire et d’ajouter « le plus rapidement possible » 3000 loyers subventionnés. Sur cette question des vacances, le PQ propose qu’un employé qui change d’employeur ne perde pas ses trois semaines s’il a déjà atteint ses cinq années de service continu.

Le plan de match de Québec a des airs de déjà-vu : juste avant d’affronter l’électorat en 2004, le premier ministre Bernard Landry avait lancé l’idée de la semaine de quatre jours pour l’ensemble des salariés.

Joints hier, les ténors du patronat commentaient du bout des lèvres. Pour eux, alourdir les charges des employeurs risque de faire perdre de la compétitivité aux entreprises québécoises. Les trois quarts des entreprises comptent moins de dix employés, rappelle-t-on.

Favoriser les employés

Après un rappel des mesures qui ont satisfait les patrons, Philippe Couillard a ajouté : « Notre intention est d’avoir des politiques de main-d’œuvre qui favorisent davantage les employés. » Une refonte de la Loi sur les normes du travail doit être déposée à l’automne. Les consultations sont déjà amorcées, mais ont été mises en veilleuse temporairement pour les négociations sur la construction. Jusqu’ici, la réponse au coup de sonde est claire : cette réforme traitera beaucoup plus d’organisation du temps de travail que de taux horaires.

Sur le salaire minimum, Philippe Couillard n’entend pas tendre vers les 15 $ visés par l’Ontario et la Colombie-Britannique. En coulisses, à Québec, on est loin d’être certain que le gouvernement de Kathleen Wynne sera reporté au pouvoir. Le Québec veut faire passer le salaire minimum de 11,25 $ à 12,45 $ l’heure d’ici 2020 – on vise alors 50 % du salaire moyen.

Comme il l’a fait samedi devant les délégués réunis en conseil général à Trois-Rivières, M. Couillard a souligné que, quand ils rencontraient des électeurs, les députés se faisaient parler de conciliation travail-famille davantage que de salaire. Les parents souhaitent plus de souplesse, avoir plus de temps avec leurs proches, a insisté M. Couillard. Il a parlé de « jours de vacances supplémentaires », et tout le monde a compris qu’il parlait de la semaine de vacances supplémentaire que venait d’annoncer le gouvernement ontarien.

La productivité

Philippe Couillard a soutenu que davantage de vacances pouvait améliorer la productivité des employés. Les patrons sont restés sur leurs gardes. Ils conviennent que si quelqu’un travaille quatre jours par semaine, il peut, le cinquième jour, s’occuper d’une série d’obligations familiales, mais cette journée ne serait pas rétribuée.

Aussi, souligne-t-on, l’Ontario n’a fait que rattraper le Québec en cette matière en ajoutant une troisième semaine au minimum prévu pour un employé qui compte cinq ans de service continu. « On lui a rappelé que le Québec était déjà doté des conditions les plus généreuses en Amérique du Nord, surtout si on tient compte des congés parentaux », a souligné Yves Thomas Dorval, président du Conseil du patronat. Les employeurs constatent qu’il y a de plus en plus de salariés qui souhaitent du temps partiel, résume-t-il.

Stéphane Forget, de la Fédération des chambres de commerce, souligne : « On est tous d’accord avec de bonnes conditions de travail pour nos employés, mais il faut que l’entreprise reste compétitive. » « Si les travailleurs veulent plus de flexibilité, on peut dire la même chose des employeurs », observe Martine Hébert, de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante. Pas question, selon elle, de faire « du cherry picking » pour améliorer des conditions sans tenir compte de l’impact sur la rentabilité des entreprises. Éric Tétrault, des Manufacturiers, souligne que le patronat est « ouvert au dialogue », mais que cela ne signifie pas qu’il approuve l’intention de Québec.

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